En une quinzaine d'années, Bruno Cathala est devenu une figure incontournable du monde du jeu, pas seulement sur notre scène nationale mais également à l'international où il jouit d'une très bonne réputation auprès des auteurs et joueurs de tous bords.

Sa venue à la boutique le jeudi 24 mars 2016 est l'occasion de mettre en lumière cet auteur aussi talentueux que prolifique !

Dans notre petit milieu de plus en plus concurrentiel, la régularité et la longévité de Bruno Cathala sont absolument remarquables et témoignent si besoin en était, de la qualité de sa production.

Dresser le portrait de Bruno Cathala n'est pas chose aisée car malgré sa popularité dans le monde ludique, il a su rester humble comme vous pourrez le constater si vous venez le rencontrer et n'est pas du genre à tirer la couverture à lui. Ainsi, lorsqu'il co-signe un nouveau titre, il n'hésite jamais à rappeler à ceux qui l'oublieraient que le titre en question n'est pas né uniquement de son cerveau tortueux mais a bien été réalisé à 4 mains. Néanmoins, si on devait caractériser sa production, on pourrait mettre plusieurs points en avant :

Primo, comme nous venons de le voir, il apprécie travailler en duo. Un tiers de ses jeux sont en effet des cocréations. Son compère le plus fidèle est Ludovic Maublanc avec lequel il a signé entre autre Mr Jack, Cyclades ou encore Dice Town. Antoine Bauza, Serge Laget ou Bruno Faidutti sont quelques-uns des auteurs qui se sont un jour associés à lui.

Secundo, Bruno Cathala aime les jeux à 2 joueurs. Rares sont les titres de sa ludographie dont on pourrait dire qu'ils ne fonctionnent pas bien en duo ! D'ailleurs, il a produit de nombreux jeux exclusivement pour 2 dont Mr Jack est le plus célèbre et Raptor le plus récent. Son entrée dans le monde ludique a d'ailleurs été marquée par la création par feu l'éditeur Jeux Descartes d'une collection spécifique pour le tête à tête dont il a créé les 3 premières boîtes.

Autre trait marquant le concernant, il se qualifie volontiers de "mécanicien" du jeu. S'il n'y a pas vraiment de règles concernant la naissance d'une idée, il y a aujourd'hui 4 grands axes cités par les auteurs comme point de départ de leur réflexion : le matériel, l'émotion, la thématique et enfin la mécanique de jeu. Eh bien Bruno Cathala se situe plutôt dans cette dernière catégorie. Five Tribes par exemple, est né de sa volonté de revisiter le principe africain des mancalas dont l'Awalé est la version la plus célèbre chez nous. Il est ainsi réputé pour la qualité de l'équilibrage de ses jeux.

Enfin, il aime les jeux taquins. L'interaction est toujours présente dans ses titres et on trouve régulièrement trace d'une petite idée subtile qui fait toute la différence dans sa production. Une mécanique typiquement cathalienne est celle de la corruption (ça vous situe le personnage !). Elle consiste à offrir aux joueurs le choix d'obtenir un gain plus important en cours de partie ou d'avoir un choix plus large, au prix de quelques jetons, perles ou cartes de corruption. A la fin de la partie, le joueur le plus corrompu est ainsi pénalisé et, le plus souvent, exclu de la victoire finale. Cléopâtre et la Société des Architectes, Sobek ou la récente extension d'Abyss utilisent cette mécanique spécifique.

Pourtant, malgré sa moyenne impressionnante de 5 ou 6 jeux par an, Bruno Cathala n'était à l'origine pas destiné à faire des jeux. Sa première vie a été dans la recherche et le développement en science des matériaux. Comme beaucoup, il fut un jour obligé de changer de voie et le monde ludique s'est alors imposé à lui. La découverte du monde du jeu dans les années 1980-1990 via la revue Jeux & Stratégie (si déterminante dans le parcours de nombreux acteurs du monde ludique francophone) et le jeu Fief lui ont fait prendre conscience que cet univers pourrait être le sien. Après avoir modifié des règles de jeux pour son plaisir, il se lance dans ses propres créations. Le premier jeu sur lequel il travaille ne sera pourtant pas le premier édité : Sans Foi ni Loi ne paraîtra qu'en 2003, soit un an après le lancement, le même jour, de ses 3 premiers titres : Guerre & Bêêêh, Tony & Tino et Drake & Drake.

C'est cependant son association avec Bruno Faidutti et Days of Wonder pour le Collier de la Reine qui va lui permettre de prendre son envol auprès des éditeurs et de la communauté des joueurs. 2 ans plus tard, en 2005, la consécration arrive avec la publication du désormais classique Chevaliers de la Table Ronde. La qualité éditoriale de cette boîte associée à l'idée du joueur incarnant un félon luttant contre les autres offrira une véritable reconnaissance à Bruno Cathala. De plus, à travers ce titre, c'est une nouvelle façon de promouvoir les jeux qui apparaît. L'auteur devient un véritable vecteur de diffusion et de promotion de son jeu. Aujourd'hui encore, le bonhomme n'hésite pas à donner de sa personne aux 4 coins de la France et de l'Europe pour mettre en avant ses créations, rencontrer les joueurs et les faire jouer, toujours avec beaucoup de bonne humeur et de sympathie. Sa venue à la boutique en est d'ailleurs la preuve. La création de jeu est pour lui "un moyen d'entrer en communication avec des personnes qu'il n'aurait jamais osé aborder sans cela".

Les succès vont ensuite s'enchaîner à rythme effréné, terminant ainsi d'inscrire l'auteur comme un acteur incontournable du paysage ludique mondial. Mr Jack, par exemple, fut déterminant dans l'évolution du monde du jeu. A une époque où les éditeurs étaient particulièrement frileux à l'idée de publier des titres réservés exclusivement pour 2 joueurs, il convint avec son compère Ludovic Maublanc l'éditeur suisse Hurricane de diffuser de manière plus large Une Ombre sur Whitechapel dont le tirage à 250 exemplaires jouissait d'une belle réputation. Là aussi, il s'est donc imposé comme un précurseur quand on constate aujourd'hui le nombre de jeux de duels qui sortent chaque année (le succès incroyable de Seven Wonders Duel ce Noël ne me démentira pas). La mise en avant à cette occasion du travail de l'illustrateur Pierô marque également une avancée dans la reconnaissance du jeu comme objet culturel, sinon auprès des institutions, du moins auprès du grand public.

Depuis, les succès s'enchaînent chaque année de façon très régulière : Jamaïca, Du Balai, Mow, Sobek, Noé, Dice Town, Cyclades, le Petit Prince, Five Tribes, Abyss... Excusez du peu !

Cependant, tout cela, n'est que la partie visible de l'iceberg. Sa connaissance du monde ludique, sa qualité de mécanicien du jeu et ses compétences en matière d'édition lui ont permis d'ajouter d'autres cordes à son arc. Ainsi, depuis plusieurs années, Bruno Cathala est également un auteur qui réalise quelques jeux sur commande. C'est le cas pour plusieurs organismes dont le Grand Massif, mais des jeux comme Jamaïca (pour Assura) ou Burdigala (l'Ecole Supérieure des Métiers de l'Illustration) sont à l'origine des titres réalisés dans un cadre bien particulier pour lequel il avait été missionné.

En outre, son travail de l'ombre est également particulièrement important auprès de divers éditeurs. Il lui arrive ainsi de collaborer de très près au processus éditorial de plusieurs maisons d'édition sur des titres qui ne sont pas les siens ! Il a participé de manière active au développement du jeu Augustus de Paolo Mori pour ne citer que lui, mais son implication auprès d'éditeurs comme Matagot, Bombyx ou Days of Wonder est un secret de polichinelle.

Enfin, si l'on ajoute son expérience en tant que vendeur à la boutique annécienne de Ludocortex ou ses interventions en tant que formateur auprès du Centre de Formation national aux Métiers du Jeu et du Jouet (FM2J), on se rendra compte que sa connaissance et ses compétences dans le monde du jeu sont probablement sans comparaison avec celles de ses autres collègues auteurs.

Depuis environ 2 ou 3 ans, Bruno a d'ailleurs choisi de se recentrer sur l'activité de création qui lui procure le plus de satisfaction.

Aujourd'hui que manque-t-il à Bruno Cathala ? Probablement deux choses. La première c'est la publication d'un succès tel qu'il lui permettrait de vivre sereinement du jeu, car malgré tous ses succès incroyables à notre échelle, le manque de reconnaissance des institutions du statut d'auteur de jeu le condamne à continuer à créer de manière régulière s'il souhaite en vivre convenablement. La seconde ? Peut-être une reconnaissance formelle. S'il ne compte probablement plus les prix obtenus par ses jeux, il n'a encore jamais été récompensé du prestigieux Spiel des Jahres qui serait pourtant une juste récompense pour le talent de cet auteur toujours disponible et lui permettrait de laisser une trace encore plus grande dans le paysage ludique mondial.